Temps forts de l'année liturgique

Commentaire envoyé par Bernard sur cet évangile :

"Assez dur à entendre la parabole des talents Dimanche 19 Nov chez Mireille

Pourtant les paraboles comme" l'ouvrier de la onzième heure ou le fils prodigue"qui heurtent notre sens commun de la justice,ne sont pas si rares ;on pourrait dire notre sens terre à terre de la justice; or dans les évangiles on parle du ciel .

.Le pape Benoit XVI( Angelus du 16 nov 2008) rappelle que l' évangile a pesé sur le plan historico-social promouvant dans les populations chrétiennes une mentalité active et entreprenante. En citant la parabole des talents Benoit XVI souligne que" le talent se réfère à un esprit de responsabilité envers Dieu et envers l'humanité. la mauvaise attitude étant celle de la peur...."

( la peur n'est pas un sentiment facile à vaincre quand on l'éprouve. Dans les milieux industriels où j ai exercé quelque temps il y avait peu de réactions en cas d'injustice flagrante par peur de retombées négatives sinon de licenciement).

Cependant ce qui n'est pas dit dans la parabole mais qui est dit ailleurs est ceci: si l'on a le courage de manifester l'existence de ce talent pour les autres alors les grâces reçues pour agir seront surabondantes.

Je lis encore que "pour Thomas d'Aquin le mauvais serviteur n'est pas rejeté dans les ténèbres extérieures pour avoir fait le mal mais pour n 'avoir pas fait tout le bien qu'il pouvait faire".

Amicalement / Bernard"


Dimanche 19 novembre 2023

33ème dimanche ordinaire (Année A)


Évangile de Matthieu 25, 14-15.19-21

En ce temps-là, Jésus disait à ses disciples cette parabole : « C’est comme un homme qui partait en voyage : il appela ses serviteurs et leur confia ses biens. À l’un il remit une somme de cinq talents, à un autre deux talents, au troisième un seul talent, à chacun selon ses capacités. Puis il partit. Longtemps après, le maître de ces serviteurs revint et il leur demanda des comptes. Celui qui avait reçu cinq talents s’approcha, présenta cinq autres talents et dit : “Seigneur, tu m’as confié cinq talents ; voilà, j’en ai gagné cinq autres.” Son maître lui déclara : “Très bien, serviteur bon et fidèle, tu as été fidèle pour peu de choses, je t’en confierai beaucoup ; entre dans la joie de ton seigneur.” »


Il fait confiance à l’homme

Merci, Matthieu pour cette parabole « business » qui ne s’adresse pas qu’aux PDG du CAC40. Commençons cette étude par une plongée dans un dictionnaire étymologique, où l’on apprend que le mot français « talent », tel qu’on l’entend aujourd’hui (un don, une aptitude), vient de cette parabole. Au temps de Jésus, il désignait un poids et une somme d’argent. Ce qui explique que, lorsque le maître donne à chacun selon ses capacités, il faut le comprendre comme une capacité physique à porter entre 30 et 150 kg d’argent. Ce qui effectivement représente une somme considérable ! Dieu donne toujours en abondance et peut-être même au-delà de ce dont nous avons besoin.

On notera que le maître ne « micro-manage » pas ses serviteurs mais leur fait confiance. Il ne part même pas en donnant des objectifs du style « Investissez et, quand je reviens, je veux un retour sur investissement de 100 %. » Dieu nous confie sa richesse, sa Parole, une éthique de vie qui commence par aimer son prochain et prendre soin de lui. Il accepte que nous prenions un risque, mais il nous fait confiance. Une confiance totale. Cette confiance divine donne sa dignité à l’homme en même temps que sa responsabilité. Il nous confie à tous sa Parole, sa Grâce, peu importe notre sexe, notre état de vie, notre classe sociale. La confiance est là et nous fait grandir.

Et Dieu n’attend pas de nous que nous restions sans rien faire, mais, au contraire, que nous fassions fructifier la foi, l’espérance, l’amour. Dieu nous met en responsabilité : nous avons une responsabilité quant à ce qui nous est donné. Ainsi, on ne pourrait pas dire à des personnes souffrantes « Tu n’as qu’à aller à Lourdes et attendre une guérison » au lieu de développer tout un système de santé, de soutien, d’accompagnement des malades, ET de les accompagner à Lourdes si on le désire – l’un n’excluant pas l’autre !

Je voudrais terminer sur la joie de ce maître quand il voit à quel point, chacun à sa mesure, les serviteurs ont fait fructifier ce qu’il leur avait donné. Sa confiance les a fait grandir. Il leur a laissé la liberté d’utiliser leur raison, de décider d’investir, ou pas. Le maître n’a pas donné d’objectif de résultats, mais un objectif de moyens. Et c’est de voir que les serviteurs ont fait de leur mieux qui l’a mis en joie. Mais ce n’est pas une joie solitaire, c’est une joie partagée, une joie fusionnelle : « Entre dans la joie de ton Seigneur. »

Tellou

 



***************

Dimanche 12 novembre 2023

32ème dimanche ordinaire (Année A)


Évangile de Matthieu 25, 1-13

« Le royaume des Cieux sera comparable à dix jeunes filles invitées à des noces, qui prirent leur lampe pour sortir à la rencontre de l’époux. Cinq d’entre elles étaient insouciantes, et cinq étaient prévoyantes : les insouciantes avaient pris leur lampe sans emporter d’huile, tandis que les prévoyantes avaient pris, avec leurs lampes, des flacons d’huile. Comme l’époux tardait, elles s’assoupirent toutes et s’endormirent. Au milieu de la nuit, il y eut un cri : “Voici l’époux ! Sortez à sa rencontre.” Alors toutes ces jeunes filles se réveillèrent et se mirent à préparer leur lampe. Les insouciantes demandèrent aux prévoyantes : “Donnez-nous de votre huile, car nos lampes s’éteignent.” Les prévoyantes leur répondirent : “Jamais cela ne suffira pour nous et pour vous, allez plutôt chez les marchands vous en acheter.” Pendant qu’elles allaient en acheter, l’époux arriva. Celles qui étaient prêtes entrèrent avec lui dans la salle des noces, et la porte fut fermée. Plus tard, les autres jeunes filles arrivèrent à leur tour et dirent : “Seigneur, Seigneur, ouvre-nous !” Il leur répondit : “Amen, je vous le dis : je ne vous connais pas.” Veillez donc, car vous ne savez ni le jour ni l’heure. »


Langage de Dieu, langage humain

Quand une blague tombe à plat, l’incompréhension et la gêne prennent la place du rire et de la complicité. Il faut alors effectuer une tâche ingrate et humiliante, crainte par tout plaisantin qui se respecte, expliquer sa blague. Les paraboles fonctionnent un peu comme des blagues. On peut dire qu’elles ne marchent pas bien quand elles ne déclenchent pas chez nous la réaction voulue – le rire, la peur, l’émotion –, puis l’action qui en découle. Quand notre réaction face à une parabole est l’interrogation, voire le doute sur sa signification, quand elle produit des interprétations à rallonge de théologiens plutôt que des réactions et des actions dans le peuple de Dieu, c’est probablement qu’elle est un peu à côté de la plaque.

Et cette parabole des « vierges imprévoyantes » fait clairement partie de cette catégorie. Une partie de l’incompréhension vient du décalage entre le caractère un peu tarabiscoté du récit et la relative simplicité de la « morale » énoncée par Jésus : tenez-vous prêts, vivez chaque jour comme si le Jugement était là. On dit souvent que les paraboles simplifient un enseignement qui ne serait pas à la portée des simples, mais ici, on a l’impression contraire : que fait ce marchand d’huile ouvert en pleine nuit ? Pourquoi les vierges prévoyantes ne permettent-elles pas aux autres de les accompagner, la lumière produite par leurs lampes bénéficiant à toutes ? Pourquoi l’époux leur refuse-t-il l’entrée ? Derrière chacune de ces questions, on peut construire des théories. Pourtant, le sens nous est clairement donné par Jésus, même s’il ne semble pas pouvoir éclairer toutes les complexités du récit.

Si ce récit supposément pédagogique semble en réalité obscurcir les choses, ce n’est peut-être pas pour rien. Jésus nous parle ici du Royaume. Or, si on sait une chose de ce Royaume, c’est qu’il n’est pas de ce monde. Jésus nous parle donc ici d’une réalité qui est à la fois toute proche et complètement étrangère.

Notre manière de nous parler et de nous écouter est profondément influencée par la manière dont nous vivons entre nous, et ce « vivre ensemble » est marqué par des relations souvent violentes, mensongères, méprisantes. Notre langage lui-même est traversé, déformé par des « structures de péché ». De Babel à la Pentecôte en passant par les sévères conseils évangéliques nous avertissant des péchés commis avec la langue, nous savons que le langage des hommes lui aussi a besoin d’être sauvé. Dans le Royaume, nous vivrons différemment, mais nous parlerons aussi certainement très différemment.

Donc, quand Jésus tente de nous décrire le Royaume, il doit le faire dans le langage des hommes d’ici et maintenant, alors que les mots de ce langage ne sont pas tout à fait capables de dire sa splendeur. Et, donc, le Royaume qui essaie de se dire avec le langage tordu des hommes d’aujourd’hui, ça donne cette série d’histoires, parfois simples, parfois compliquées, parfois contradictoires, souvent sanglantes et bizarres. Ce n’est pas par hasard.

Regardez ce qui se passe quand Dieu lui-même entre dans l’histoire des hommes pour s’approcher de nous et nous manifester son amour : ça donne une histoire sanglante et paradoxale, celle d’«un Messie crucifié, scandale pour les Juifs, folie pour les païens». Une histoire qui provoque chez nous gêne, incompréhension et attente d’une « chute » plus satisfaisante.

Mais essayez de raconter une blague dans une langue étrangère et on en reparlera !


Benoît Gautier, pour "Témoignage Chrétien" du 2 novembre 2023

**********

Dimanche 5 novembre 2023

31ème dimanche ordinaire (Année A)


Livre du prophète Malachie 2, 2b.8-10

« Vous vous êtes écartés de la route, vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude, vous avez détruit mon alliance avec mon serviteur Lévi, – dit le Seigneur de l’univers. À mon tour je vous ai méprisés, abaissés devant tout le peuple, puisque vous n’avez pas gardé mes chemins, mais agi avec partialité dans l’application de la Loi. »


Évangile de Matthieu 23, 1-12

« Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens ; mais eux-mêmes ne veulent pas les remuer du doigt. Toutes leurs actions, ils les font pour être remarqués des gens : ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges ; ils aiment les places d’honneur dans les dîners, les sièges d’honneur dans les synagogues et les salutations sur les places publiques ; ils aiment recevoir des gens le titre de Rabbi. […] Qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. »


Que de mondanités !

En lisant les textes de ce dimanche, je ne peux m’empêcher de repenser à ces photos qui tournent régulièrement sur les réseaux sociaux, celles du cardinal ultraconservateur Raymond Burke dans sa « cappa magna ». Pour sûr, lorsque le Christ prononça ces mots rapportés par l’évangéliste Matthieu : « ils élargissent leurs phylactères et rallongent leurs franges », il n’imaginait probablement pas que, plus de deux mille ans plus tard, des cardinaux se réclamant de « la tradition » allongeraient leur habit de plusieurs mètres de soie rouge. Il ne prévoyait pas que la Cène deviendrait prétexte à de longs débats sur la liberté laissée à de plus en plus de prêtres de célébrer l’Eucharistie dans sa « forme extraordinaire », à grand renfort de surplis, d’encensoirs dorés et de vieux décors. Ce goût du clinquant, des dorures, des dentelles et des kilomètres de satin pourrait prêter à sourire. Il pourrait nous donner envie de ressortir notre tête de « parent raisonnable » expliquant à notre enfant que, non, il ne peut pas aller à l’école déguisé en Spiderman aujourd’hui, ou que, non, on ne met pas l’intégralité de sa garde-robe sur soi pour aller au lycée même si c’est stylé, ajoutant : « Enfin, ah, là, là, ces enfants et leurs lubies ! » Sauf que !

Sauf que, derrière ces excentricités, se cache une réalité qui ne prête pas à rire : « Ils attachent de pesants fardeaux, difficiles à porter, et ils en chargent les épaules des gens » nous dit Matthieu. « Vous vous êtes écartés de la route, vous avez fait de la Loi une occasion de chute pour la multitude » proclame le prophète Malachie avant lui. « Le cléricalisme est une perversion de l’Église » avait affirmé en 2018 le pape François lorsqu’il s’était attaqué à ce qu’il avait appelé « l’Église mondaine ». Le récent rapport Sauvé a bien mis en évidence le rôle du cléricalisme et de l’idolâtrie du prêtre dans la perpétuation des abus spirituels, des agressions sexuelles et de toutes les formes de violence. La sacralisation du prêtre met ses « ouailles » en danger par une suspension du jugement et une illusion d’intouchabilité, laissant le champ libre à la perversion et la manipulation. Elle s’accompagne d’une dissonance cognitive chez les paroissiens, lorsque les actes dudit prêtre ne reflètent pas la sainteté supposée, dissonance qui, faute de pouvoir affronter la noirceur, augmente le déni et entretien l’illusion, de peur que tout ce spectacle clinquant et fragile ne s’écroule.

Par-dessus le marché, par un effet qui relève au fond d’une stratégie marketing efficace, les autoproclamés apôtres de la tradition, en réalité ambassadeurs d’une certaine vision des relations de pouvoir au sein de l’institution, avec l’esthétique qui en découle, parviennent – tour de magie efficace – à détourner l’attention de leurs discours de haine : haine contre les homosexuels et l’ensemble de la communauté LGBTI, mépris des femmes, rejet des personnes vivant dans d’autres formes d’union que celle du mariage… Et hop ! Quelques mètres de tissus, dentelles, froufrous, et on ne parle plus du cœur du problème. L’Église ne mourra pas, comme on l’entend souvent, du fait qu’en son sein quelques militants s’attachent à remettre en cause des habitudes ancrées et à dénoncer des scandales, elle mourra de son illusion identitaire de croire qu’une soutane, un surplis, une cape, représentent son renouveau. Parce que cette illusion identitaire est une façon d’afficher son pouvoir et de chercher à s’élever. Mais « qui s’élèvera sera abaissé, qui s’abaissera sera élevé. »

Claire Conan-Vrinat

 


**************

Mercredi 1er novembre 2023

Fête de la Toussaint

Voir ici onglet Fêtes


**************


30e dimanche ordinaire de l’ année A

29 octobre 2023


Évangile de Jésus Christ selon saint Matthieu Ch 22,34-40

    En ce temps-là, les pharisiens, apprenant que Jésus avait fermé la bouche aux sadducéens, se réunirent, et l’un d’entre eux, un docteur de la Loi, posa une question à Jésus pour le mettre à l’épreuve :
    « Maître, dans la Loi, quel est le grand commandement ? »
    Jésus lui répondit : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur,
de toute ton âme et de tout ton esprit. Voilà le grand, le premier commandement.
    Et le second lui est semblable : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. De ces deux commandements dépend toute la Loi, ainsi que les Prophètes. »

Commentaire à écouter sur 

Cliquer sur l'image ci-contre



Nous sommes au 30e dimanche de ce temps que l'on appelle "ordinaire" et l'on aurait peut-être tendance à se dire qu'il ne se passe donc rien d'important, que les lectures sont, elles aussi ordinaires…

Il n'en est rien, évidemment. Car la Parole n'est jamais ordinaire. Elle ne le devient que si nous ne laissons plus toucher, transformer par elle. Et justement, ce dimanche, elle va nous poser une question fondamentale : dans ta vie de foi, quelle est l'importance que tu accordes à la loi, au devoir, aux obligations ? 

L’évangile de ce jour propose un dépassement de la Loi ancienne : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et ton prochain comme toi-même ». C’est d’une totale nouveauté : mettre sur le même plan Dieu et le prochain, l’amour de Dieu et l’amour du prochain. 

Saint Augustin, qui connaissait bien cette Parole, disait : « Aime et ce que tu veux, fais-le ». Non pas « aime et fais ce que tu veux… »  Aime d'abord, de tout ton cœur, de tout ton esprit, de toutes tes forces. Aime Dieu en accueillant son amour et aime tout humain. Si vraiment tu aimes, alors oui, tu voudras que tout humain soit libre, dignement et justement traité. Tu voudras qu'il grandisse en humanité, tu voudras que soit montré l'éclat de divinité que le Seigneur a déposé en chacune de ses créatures.

Si tu aimes, ce que tu voudras, tu le feras.



29e dimanche ordinaire de l’ année A

22 octobre 2023


Évangile de Matthieu 22, 15-21

En ce temps-là, les pharisiens allèrent tenir conseil pour prendre Jésus au piège en le faisant parler. Ils lui envoient leurs disciples, accompagnés des partisans d’Hérode : « Maître, lui disent-ils, nous le savons : tu es toujours vrai et tu enseignes le chemin de Dieu en vérité ; tu ne te laisses influencer par personne, car ce n’est pas selon l’apparence que tu considères les gens. Alors, donne-nous ton avis : Est-il permis, oui ou non, de payer l’impôt à César, l’empereur ? » Connaissant leur perversité, Jésus dit : « Hypocrites ! Pourquoi voulez-vous me mettre à l’épreuve ? Montrez-moi la monnaie de l’impôt. » Ils lui présentèrent une pièce d’un denier. Il leur dit : « Cette effigie et cette inscription, de qui sont-elles ? » Ils répondirent : « De César. » Alors il leur dit : « Rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. »


La monnaie du ciel

Ce texte est très souvent pris pour référence lorsqu’il s’agit de parler de laïcité et de séparation de l’Église et de l’État. Bien entendu, nos cartes bancaires et nos applications de paiement ont remplacé les pièces d’or et d’argent à l’effigie de l’empereur, mais l’impôt reste la prérogative de l’État. Mais, alors, quelle est cette monnaie que nous devons rendre à Dieu ? Le temps de la dîme est-il tout à fait passé ou bien a-t-il été remplacé par la quête et, pour les catholiques, le « Denier de l’Église » ? Ou bien serait-ce d’une tout autre monnaie et d’un tout autre paiement qu’il s’agit ?

Mais que devons-nous d’ailleurs « rendre à Dieu » ? Est-ce que le Seigneur nous a fait un prêt dont il faut payer le capital et les intérêts, comme dans la parabole des talents, plus loin chez Matthieu (Mt 25, 14-30) ? Ce prêt, ce sont nos conditions de vie, nos positions – professionnelles ou autres –, nos relations, nos aptitudes… Il faut déjà en identifier la valeur, et le principal écueil est ici une fausse humilité qui conduirait à largement sous-estimer le montant de ce prêt – et donc également le montant à rembourser. Le deuxième écueil est ici de se comparer aux autres, afin de chercher si notre voisin a reçu davantage, ou si notre voisine semble avoir reçu bien peu. Il ne s’agit pas d’une loterie : chacun reçoit selon ses besoins… et ceux de son entourage.

Et comment rembourser ce prêt ? Bien sûr, il est possible de « faire la charité » et externaliser le remboursement à des organisations qui s’empresseront de faire le bien pour nous, voilà qui est fort pratique… Mais l’argent qui est donné pour la charité n’est pas la monnaie de Dieu ! Si cette monnaie est sous la forme de grâces reçues, nous serons bien ennuyés pour les rendre. Faut-il renoncer à nos conditions de vie, abandonner l’usage de nos facultés, mettre fin à nos relations, renoncer à tout ce que nous avons reçu, et même à plus que nous n’avons reçu si on y ajoute des intérêts ? C’est une mission impossible… et ­inutile. À quoi bon ce prêt si nous ne pouvons pas y toucher, pourquoi nous donner ces moyens s’il s’agit au fond de nous les retirer ?

Nous voilà à imaginer un Dieu créancier qui compte chaque reçu et attend que chaque « pièce » soit rendue, jusqu’au dernier centime. Nous le savons pourtant, les mathématiques divines sont bien éloignées des nôtres, et les dettes sont remises à ceux qui le demandent. Et si nous faisions fausse route ? Et si, pour « rendre à Dieu ce qui est à Dieu », il ne s’agissait pas d’éviter de dépenser ce que nous avons reçu, mais bien, avec gratitude, de tout dépenser… en se dépensant. Là où nous nous trouvons, chacun a l’occasion – de nombreuses occasions – de donner un sourire, du temps, une attention, une prière, un service. Voilà une belle façon de dépenser la monnaie divine ! Pour sainte Thérèse de Lisieux, c’est bien dans les petites choses faites par amour, et non dans les grandes démonstrations, que se situe la voie de la sainteté.

Attention alors à ne pas être pingre, mais bien reconnaissant et plein de gratitude en dépensant tous ses dons. Car ce n’est pas notre propre monnaie que nous dépensons, nous ne risquons pas d’épuiser nos ressources. Lorsque nous sommes fatigués de rendre service, que nous ne nous sentons plus l’énergie de sourire, peut-être nous sommes-nous trompés de monnaie ! Peut-être que nous avons dépensé de notre propre poche, en cherchant à nous faire valoir, plutôt que de puiser dans la gratuité divine. Et si c’était justement cela, la monnaie du ciel : la gratuité et la gratitude ?

Lise Brument